Monsieur Engel, vous avez été nommé ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire il y a 5 mois maintenant. Quelles sont vos priorités en matière de droit du travail pour la période législative restante ?
Mon mandat en tant que ministre est relativement court. J’essaierai donc tout d’abord de travailler dans la continuité et de faire avancer les projets de loi que mon prédécesseur Dan Kersch a déposés. Il s’agit notamment du projet de loi sur le droit à la déconnexion, actuellement au Conseil d’État, qui est à mon avis un texte très important. Il en est de même pour le projet de loi qui vise à protéger les salariés contre le harcèlement moral au travail. Pour ce dernier projet de loi, le Conseil d’État vient d’émettre son avis et nous devons maintenant l’analyser.
Récemment, je viens de déposer deux projets de loi, l’une sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée et l’autre sur le congé de paternité.
Un sujet qui me tient également à cœur est celui de la formation professionnelle et de la formation continue. Dans un monde du travail qui se trouve en pleine mutation, tous les salariés doivent avoir la possibilité d’accéder à des formations leur permettant d’acquérir de nouvelles compétences et d’améliorer leurs compétences. Dans ce contexte, des discussions ont déjà été menées au sein du Comité permanent du travail et de l’emploi (CPTE), et les discussions vont certainement se poursuivre car c’est un sujet extrêmement important. La mise en œuvre de ce projet doit se faire dans le dialogue social avec les partenaires sociaux.
En outre, il y a aussi le dossier concernant les travailleurs de plateformes que je souhaite faire avancer. Il faut faire en sorte que la loi encadre ces nouvelles formes de travail afin d’éviter que le travail par le biais de plateformes économiques ne conduise à une multiplication de faux-indépendants.
La formation professionnelle continue des salariés devient de plus en plus importante vu l’évolution rapide du monde du travail et les exigences face aux transitions énergétique et digitale. Quelles sont vos réflexions en matière de formation professionnelle continue pour les salariés au Luxembourg ?
Le monde du travail est effectivement en train de changer et cela peut se constater à travers tous les secteurs. Personnellement, je vois la digitalisation plutôt comme une chance, il faut dès lors analyser en quoi la digitalisation peut avoir des répercussions positives sur les conditions de travail, sans néanmoins en ignorer les risques qui existent. L’important est d’analyser de manière plus détaillée les besoins des entreprises en matière de compétences. Le Gouvernement a déjà pris quelques initiatives ciblées dans cet ordre d’idées. Je pense notamment au « Skillsdësch », aux études sectorielles récemment présentées par l’ADEM et à l’étude sur les compétences, réalisée avec l’OCDE. Toutefois ce n’est pas suffisant de connaitre les besoins et d’adapter l’offre de formation, mais il faut également un cadre législatif clair qui permet aux salariés de participer à des formations continues adaptées à leurs besoins. Et ainsi en fin de compte, tout le monde pourra en bénéficier. L’employabilité du salarié augmentera et les entreprises en profiteront également, car elles peuvent continuer à employer des salariés expérimentés qui connaissent bien l’entreprise.
L’emploi salarié au Luxembourg a dépassé au mois de mars 2022 la barre des 470.000 salariés. Comment est-ce que vous entendez permettre aux entreprises de disposer des compétences nécessaires au vu de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée au Luxembourg ainsi que dans la Grande-Région ?
Ce n’est malheureusement pas un phénomène nouveau, mais tous les représentants des organisations patronales m’ont encore confirmé lors des entrevues récentes que la pénurie de main-d’œuvre reste un problème et menace le bon fonctionnement des entreprises luxembourgeoises. Et ce n’est pas un problème qui se limite au territoire du Luxembourg. Tous les pays voisins se plaignent du manque de main-d’oeuvre qualifiée.
En tant que responsables politiques, il faut donc réagir.
D’un côté, il faut adapter les formations initiales de façon à ce que les compétences des jeunes diplômés correspondent aux compétences recherchées par les entreprises. Beaucoup d’efforts ont déjà été faits pour mieux comprendre les besoins réels des entreprises. Comme cité auparavant, je pense notamment aux études sectorielles présentées il y a quelques mois, mais également au « Skillsdësch » qui a réuni des représentants politiques, les syndicats et les organisations patronales. Et finalement, on a collaboré avec l’OCDE pour développer une véritable stratégie nationale en matière de compétences.
J’espère que toutes ces démarches nous permettront de remédier à cette pénurie de main-d’œuvre qui est une triste réalité.
Néanmoins, je dois rester réaliste. Le marché du travail luxembourgeois aura toujours besoin de travailleurs frontaliers. Donc, il faudra également réfléchir comment le Luxembourg peut rester attractif en tant que lieu de travail et continuer à attirer des talents sur le marché du travail luxembourgeois.
La réduction du temps de travail au Luxembourg a été récemment thématisée dans les médias. Le Luxembourg connaît d’ores et déjà, à côté de la pénurie de compétences disponibles, des problèmes importants en matière de logement, de temps consacré aux trajets professionnels et d’infrastructures. Comment ces réalités peuvent-elles s’articuler avec l’idée d’une réduction généralisée du temps de travail ?
Lorsqu’on m’a demandé mon opinion concernant la décision du gouvernement belge d’introduire la semaine de travail de
4 jours, j’ai seulement constaté que je serai plutôt en faveur d’une réduction concrète du temps de travail hebdomadaire avant de réfléchir à des modèles de flexibilisation du temps de travail, comme celui retenu en Belgique. Je suis évidemment conscient qu’un tel changement ne pourra pas se faire du jour au lendemain et qu’il faudra discuter et négocier avec les partenaires sociaux. Il s’avère important que les salariés et les patrons y trouvent un bénéfice.
Je tiens aussi à signaler que le Luxembourg dispose déjà une loi dédiée au plan d’organisation du travail (POT) qui permet des modèles de travail flexibles.
Néanmoins et malgré les problèmes qui pourraient se poser si on réduisait le temps de travail hebdomadaire, le sujet mérite d’être discuté. C’est dans cet ordre d’idée que j’ai initié une étude pour analyser les bienfaits et les risques d’une réorganisation du temps du travail.
L’accord de coalition de décembre 2018 ainsi que la loi du 23 décembre 2016 concernant l’organisation du temps de travail prévoient qu’un bilan intermédiaire de ladite loi serait réalisé en 2020, respectivement en 2022. Pourriez-vous nous dire à quel stade cette réévaluation se trouve et quelles seraient, d’après votre avis, les conclusions à retenir ?
Cette réévaluation est actuellement en cours de réalisation. Des courriers viennent d’être envoyés à certaines entreprises pour réaliser un sondage en ligne. Les résultats de ce sondage nous permettront certainement de mieux comprendre les problèmes et défis auxquels les entreprises sont confrontées quotidiennement. Il est donc trop tôt pour parler des conclusions à retenir. Or, il est évident pour moi qu’une fois que nous disposerons des conclusions de cette étude, il faudra le cas échéant réagir et adapter les textes législatifs en cours là où cela s’avère absolument nécessaire.
Les chambres professionnelles ont publié en été dernier leurs revendications en vue d’une revalorisation du statut de l’indépendant au Luxembourg. Quelles sont vos réflexions à ce sujet et quelles revendications devraient être traitées prioritairement (reclassement professionnel, indemnités de chômage, cumul d’un revenu avec une pension de vieillesse anticipée, etc.) ?
Je partage l’avis des chambres professionnelles que le statut de l’indépendant devrait être revu et revalorisé. Les revendications de la Chambre de métiers et de la Chambre de Commerce ont donc retenu toute mon attention. Des discussions au sein de mon ministère sont déjà en cours pour adapter certains textes législatifs. C’est notamment en matière de chômage, respectivement chômage partiel que je compte faciliter l’accès pour les travailleurs indépendants, p.ex. dans le cadre d’une fermeture administrative décidée par le Gouvernement. Les travaux y relatifs ont déjà commencé et c’est certainement un des sujets sur lesquels je vais me pencher dans les mois à venir.
Je viens également de déposer il y a quelques jours une loi qui rend le congé de paternité accessible aux indépendants.
La procédure de détachement luxembourgeoise à respecter par les entreprises détachantes est liée à des charges administratives disproportionnées par rapport aux objectifs recherchés. Le projet de loi n°7319 déposé en juin 2018 vise, entre autres, à enlever certaines activités de l’obligation de déclaration, mais il n’a toujours pas été voté à la Chambre des députés. Quelle en est la raison et est-ce que ledit projet pourrait, à votre avis, encore être voté durant cette période législative ?
En ce qui concerne le détachement de salariés, le projet de loi n°7319 qui a été déposé en juin 2018 prévoit de dispenser de l’obligation déclarative en matière de détachement les salariés qualifiés ou spécialisés de l’entreprise établie à l’étranger et qui se rendent au Grand-Duché de Luxembourg pour effectuer des travaux d’entretien, de maintenance ou de réparation sur des machines, à condition que la durée des travaux en question n’excède pas 5 jours de calendrier par mois.
Il en est de même des salariés de l’entreprise établie à l’étranger et qui se rendent au Grand-Duché de Luxembourg en vue d’y exercer des activités comme formateur, conférencier ou orateur ou bien en vue d’assister à des formations, à des conférences ou à des réunions de travail, à condition que ces activités ne dépassent pas 5 jours de calendrier par mois.
Ce projet de loi a déjà connu une série d’amendements gouvernementaux suite à un échange de vues avec le Conseil d’État. Actuellement, suite au deuxième avis du Conseil d’État du 16 juillet 2021, les nouveaux amendements vont être présentés prochainement à la Commission du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale. Je reste confiant que ce projet pourra encore être voté durant cette période législative.